Les textes clés du débat sur l’interprétation de l’ensemble de ce chapitre se trouvent aux versets 29 à 31. C’est là qu’on voit la ligne de démarcation entre l’interprétation du chapitre comme dans le futur ou il doit encore s’accomplir dans notre avenir ou comme ayant été accompli lors de la destruction de Jérusalem[1]. L’un des défis de l’interprétation de ces mots est que nous devons prendre du recul et comprendre pourquoi le Seigneur a utilisé ces expressions spécifiques. Nous devons retrouver ce langage dans d’autres textes de la bible, en particulier dans l’Ancien Testament, afin d’en identifier et de déchiffrer la signification. Jésus s’adressait à un peuple saturé par le langage, les concepts et les images de l’Ancien Testament. Dès les premiers jours de leur vie, ils ont mémorisé et appris l’Ancien Testament. Ainsi, lorsque Jésus leur parlait des choses à venir, il utilisait le vocabulaire prophétique de l’Ancien Testament qu’ils reconnaissaient immédiatement[2]. Le Seigneur Jésus n’utilisait pas un nouveau langage pour communiquer avec les disciples, la terminologie était familière à tous ceux qui avaient appris à connaître les prophètes de l’ancien temps. France observe :
Le problème est que les lecteurs chrétiens modernes ne sont généralement pas très à l’aise avec l’imagerie prophétique de l’Ancient Testament et sont au contraire les héritiers d’une longue tradition d’exégèse chrétienne qui considère comme acquis qu’un tel langage cosmique et en particulier l’imagerie de Daniel 7,13-14 ne peut être compris que dans le cadre de la Parousie et de la fin du monde.[3]
Commençons par observer qu’au v. 29, le Seigneur déclare que les versets suivants (29-31) se produiront « immédiatement après » la tribulation de ces jours-là. Il n’y a pas de place pour un écart ou un délai entre cette tribulation et les événements qui se produiront après[4]. Mais que signifie l’expression « tribulation de ces jours-là » ? Certains ont soutenu que cette tribulation est différente de celle du v. 21. Ils soulignent que la tribulation du texte précédent parle des événements survenus lors de la chute de Jérusalem, tandis que la tribulation de « ces jours-là » se réfère à une période différente et potentiellement beaucoup plus longue[5]. Le problème de cette interprétation est que la terminologie décrivant le moment (immédiatement après) n’implique pas naturellement une rupture avec ce qui a été communiqué précédemment.
LE SOLEIL, LA LUNE ET LES ÉTOILES (Matthieu 24:29/ Marc 13:24/ Luc 21:25)
Nous devons également considérer que le temps est étroitement lié aux événements décrits dans les textes suivants. Le Seigneur déclare qu’en ces jours-là « le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances de la terre seront ébranlées ». Pour beaucoup, se promener dehors, de jour comme de nuit, est une indication claire que ces textes ne sont pas encore accomplis et qu’ils parlent donc d’un événement futur. Comment être plus clair sur le fait qu’il ne s’agit pas de quelque chose qui s’est produit dans le passé ? Lorsque nous interprétons un texte comme celui-ci, nous devons nous tourner vers l’AT pour examiner si ce style de langage a été utilisé dans le passé et ce qu’il signifiait pour quelqu’un vivant au 1er siècle. L’utilisation de cette expression se trouve dans Genèse 37 pour symboliser des personnes, en particulier une hiérarchie familiale. Joseph reçoit un rêve et le révèle à sa famille. “Voici que j’ai eu un autre songe, et voici que le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. (Genèse 37:9) Joseph, étant l’un des plus jeunes frères, aurait été soumis à tous ceux qui étaient plus âgés que lui, en particulier son père et sa mère. Le soleil, la lune et les étoiles sont clairement symboliques et ne font pas référence à une prosternation littérale de ces entités. Bien que ce texte ne soit pas un parallèle direct avec notre texte de Matthieu 24:29, il prouve au moins que ces entités célestes sont prises dans d’autres textes de manière symbolique.
Pour notre contexte immédiat, il est important de revoir les termes « soleil, lune et étoiles » comme une fin cataclysmique. Plusieurs passages utilisent ce langage précis. Examinons quelques-uns de ces passages :
Isaïe 13:9-10 / 13
Voici, le jour de l’Éternel arrive, Jour cruel, jour de colère et d’ardente fureur, Qui réduira la terre en solitude, Et en exterminera les pécheurs. Car les étoiles des cieux et leurs astres Ne feront plus briller leur lumière, Le soleil s’obscurcira dès son lever, Et la lune ne fera plus luire sa clarté… C’est pourquoi j’ébranlerai les cieux, Et la terre sera secouée sur sa base, Par la colère de l’Éternel des armées, Au jour de son ardente fureur.
Ésaïe 13 commence un examen approfondi du grand empire de Babylone, qui se poursuit jusqu’en 14:27. La prophétie commence par un oracle concernant l’empire ou la nation de Babylone (V.1). Les Babyloniens ont fini par conquérir de nombreuses nations, y compris Israël. Mais ces écritures révèlent que le Seigneur ne permettra pas aux Babyloniens de régner éternellement. Il montrera sa puissance en levant une armée (V.4d) qui viendra d’un pays lointain (V.5a) et qui sera utilisée comme instrument d’indignation contre les Babyloniens (V.5b). Plus loin dans le chapitre, Isaïe prophétise que le Seigneur excitera les Mèdes contre eux (V.17) et que Babylone subira un sort pire que Sodome et Gomorrhe (V.19). Il arrivera un moment où le pays de Babylone ne sera plus que désolation (V. 20-22).
Notre texte se situe au milieu de ces deux proclamations. Il n’y a pas de rupture entre les textes et, en bons exégètes, nous devons placer les versets 6 à 16 dans le cadre de l’argumentation globale d’Esaïe. Au v. 6, il commence par ordonner de « gémir », car le jour de l’Eternel est proche et ce jour de l’Eternel viendra désoler le pays (v. 9). Il s’agit de la conquête des Babyloniens que Dieu associe à son jugement sur leur peuple. Les étoiles, la lune, les cieux et la terre qui tremblent sont symboliques pour démontrer la destruction du pays et le bouleversement du régime politique de Babylone. Ce chapitre ne parle donc pas d’une destruction future du monde, mais du jugement d’une nation particulière. La chute de Babylone s’est produite par l’intermédiaire de Cyrus le Mède en octobre 539 avant J.-C., lorsqu’il a vaincu ses armées et piétiné le pays.
Ezéchiel 32:7-8
Voyons maintenant un passage dans Ézéchiel.
Quand je t’éteindrai, je voilerai les cieux Et j’obscurcirai leurs étoiles, Je couvrirai le soleil de nuages, Et la lune ne donnera plus sa lumière. J’obscurcirai à cause de toi tous les luminaires des cieux, Et je répandrai les ténèbres sur ton pays, Dit le Seigneur, l’Éternel.
Le début du discours d’Ezéchiel nous donne la nature du contexte : le Seigneur ordonne à Ezéchiel de se lamenter sur Pharaon, le roi d’Egypte. (V.2). Il commence par l’accuser de l’arrogance du Pharaon (V.2b) et de ses ravages (v.2d). Le Seigneur déclare un jugement sur lui : une troupe de peuples nombreux le soulèvera dans le filet de Dieu (v. 3), comme un poisson hors de l’eau, il sera laissé vulnérable et le pharaon sera détruit (v. 4-5). Comme à l’époque de l’Exode des Hébreux, le pays de Pharaon subira également le jugement du Seigneur (V.6 ; 13-15). Lorsque Pharaon sera finalement détruit (V.7), il y aura un bouleversement du régime politique et la destruction du pays. (Vs. 7-8). Dieu utilisera le roi de Babylone pour exécuter ce jugement (V.11). En 605 av. J.-C., les Néo-Babyloniens ont vaincu les Égyptiens à la bataille de Carchemish, ce qui leur a valu d’être laissés sous la domination du roi néo-babylonien.
Amos 8:9
Passons maintenant à un passage du chapitre 8 d’Amos.
En ce jour-là, dit le Seigneur, l’Éternel, Je ferai coucher le soleil à midi, Et j’obscurcirai la terre en plein jour;
La prophétie d’Amos commence par la vision d’une corbeille de fruits d’été (V.1), et le Seigneur dit que « la fin est venue pour mon peuple Israël, je ne l’épargnerai plus » (V.2). Ainsi, dès le début, on nous donne le contexte et les destinataires d’un jugement, qui, dans ce cas, est Israël. Il parle du jugement qui s’abat sur la nation parce qu’elle a piétiné les nécessiteux et fait disparaître les humbles du pays (V.4). Le jugement venant de Dieu s’étendra au pays. Le pays sera ballotté comme le Nil (V.8). C’est dans ce contexte que le jugement sur Israël est décrit comme le soleil doit se coucher à midi et la terre s’obscurcir en plein jour (V.9). Il s’agit, une fois de plus, d’un jugement contre le pays (V. 11) et, en retour, d’un temps où ils ne pourront pas trouver le Seigneur (V. 12). Amos a été écrit à peu près à l’époque d’Isaïe, mais il prédit dans ces textes la chute de Jérusalem aux mains des Babyloniens.
Joël 2:10 / 30-31
Le prophète Joël utilise également cette expression.
Devant eux la terre tremble, Les cieux sont ébranlés, Le soleil et la lune s’obscurcissent, Et les étoiles retirent leur éclat… Je ferai paraître des prodiges dans les cieux et sur la terre, Du sang, du feu, et des colonnes de fumée; Le soleil se changera en ténèbres, Et la lune en sang, Avant l’arrivée du jour de l’Éternel, De ce jour grand et terrible.
Le premier chapitre de Joël se termine par l’annonce d’une famine (vs.16-20) qui est probablement causée par la sauterelle des textes initiaux (V4). Cette famine s’abat sur le pays et ce jugement est appelé « le jour de l’Eternel » (V.15). Joël appelle Israël à jeûner, à se réunir en assemblée à la Maison du Seigneur et à crier (se repentir) au Seigneur (V14). Lorsque nous arrivons aux textes du chapitre 2 de Joël, comme pour nos autres segments scripturaires, nous commençons par l’identité du sujet. Dans ce cas, il nous est dit que Sion… ma montagne sainte devait sonner l’alarme pour créer un signal qui ferait trembler tous les habitants du pays (V.1). Il s’agit évidemment d’une référence à Israël et plus particulièrement à Jérusalem. La raison de ce coup de trompette est que le jour du Seigneur arrive. Remarquez le langage du v2 : les ténèbres et l’obscurité parlent d’un peuple grand et puissant, ce qui fait probablement référence à une armée. Ce peuple est ensuite identifié aux versets 4 à 9 avec les caractéristiques d’une campagne militaire. Joël identifie ensuite ces « ténèbres » comme « Il n’y a jamais eu rien de semblable, et il n’y en aura plus jamais de semblable, jusqu’à la fin de nombreuses générations » (V.2). Il parle ensuite, au V.3, de la « désolation » du pays. Dans ce contexte, Joël évoque les cieux qui tremblent, le soleil et la lune qui s’obscurcissent et les étoiles qui perdent leur lumière (v.10). Mais remarquez qu’au v.11, il poursuit le thème de la désolation causée par l’armée et le Jour du Seigneur est grand et redoutable ! La prophétie de Joël se tourne ensuite vers l’appel lancé à Israël pour qu’il se repente de ses mauvaises voies (v. 12-17), ce qui entraînera la réponse du Seigneur qui aura pitié d’eux, et la prospérité bénira une fois de plus son peuple (v. 18-27).
Un point fascinant à noter dans le contexte de cette bénédiction sont les mots des vs. 28-32. Ce sont les textes décrivant la bénédiction du Saint-Esprit qui sera déversé sur « toute chair » (V.28), et leurs fils et filles prophétiseront, les vieillards et les jeunes gens auront des visions et les hommes et les femmes auront l’Esprit de Dieu déversé sur eux. C’est le moment où Dieu manifestera ses bénédictions mais aussi son jugement, qu’il décrit une fois de plus comme le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang, avant que n’arrive le jour du Seigneur, grand et redoutable (V.31). Remarquez que ces versets sur le jugement se situent entre le don de l’Esprit et le moment où tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur seront délivrés ou sauvés (V.32).
Ces textes sont cités dans leur intégralité par Pierre dans son sermon de la Pentecôte (Actes 2:17-21), où il prêche à un groupe de Juifs que les paroles de Joël s’accomplissaient en leur temps. Ces paroles s’inscrivent dans le contexte de la mort, de l’ensevelissement et de la résurrection de Jésus (Actes 2:22-24) et de son couronnement en tant que roi (Actes 2:29-36). Remarquez que les paroles de Pierre sont un peu différentes de celles de Joël en ce sens qu’il parle des « derniers jours », au lieu de « après » (futur), empruntant probablement à Ésaïe 2:2, Osée 3:5 ou même Michée 4:1. Pierre croyait qu’il vivait dans les derniers jours, les jours décrits par le prophète Joël. L’effusion de l’Esprit de Dieu a eu lieu le jour de la Pentecôte, et nous savons que l’appel à croire au Seigneur pour le salut a été lancé dans toute l’Écriture, en particulier dans Romains 10:13. Ainsi, l’effusion du Saint-Esprit, la possibilité d’invoquer le nom du Seigneur et les signes et prodiges accomplis par le Christ (Actes 2:22) et les apôtres (Actes 4:20 ; 5:12 ect…), quel est le rapport entre le soleil, la lune et les étoiles et ce passage ? Remarquez que le seul autre endroit où ce passage est cité dans tout le NT se trouve dans Matthieu 24 et Luc 21, tous deux dans le contexte de la destruction de Jérusalem.
Joël 3:15-16
Le soleil et la lune s’obscurcissent, Et les étoiles retirent leur éclat. De Sion l’Éternel rugit, De Jérusalem il fait entendre sa voix; Les cieux et la terre sont ébranlés. Mais l’Éternel est un refuge pour son peuple, Un abri pour les enfants d’Israël.
Cette partie du livre de Joël fait référence à un jugement sur les nations pour leur traitement d’Israël et de Juda (V.2). Ce sera un temps de restauration pour Juda et Jérusalem (V.1). C’était une époque où Israël était dispersé parmi les nations (V.2c). Remarquez cependant que les nations spécifiques qui font face au jugement de Dieu sont nommées, ce sont Tyr, Sidon et les régions de Philistie qui seront récompensées pour leurs actions (V.4). Ces nations avaient vendu les Israélites comme esclaves, et Dieu s’assurerait que la même chose leur soit faite (V.8). Le jugement dont il est question concerne les nations emmenées dans la vallée de Josaphat, que Joël décrit comme les « nations environnantes » (V.11-12). Il ne s’agit pas d’un jugement mondial sur toutes les nations de la terre, mais d’un jugement très local sur ces nations spécifiques. Il nous est dit que le jour du Seigneur est proche (V.14) et que lors de ce jugement, le soleil et la lune s’obscurcissent, les étoiles perdent leur éclat… et les cieux et la terre tremblent. (Vs.15-16).
Les versets ci-dessus ont été prédits bien avant les paroles prophétiques de Jésus selon lesquelles ces corps stellaires cesseraient. Il est clair que ces versets traitent principalement de la menace du jugement contre les nations, qu’il s’agisse d’Israël ou d’autres pays. Ce que nous devons remarquer dans ces passages, c’est que le contexte est généralement restreint à une nation spécifique, qu’il s’agisse de l’Égypte, de Babylone, des nations entourant Israël ou d’Israël lui-même, le tout dans le cadre de l’histoire. Le langage de l’effondrement cosmique est donc utilisé par les prophètes de l’Ancien Testament pour symboliser l’acte de jugement de Dieu dans l’histoire, en mettant l’accent sur les renversements politiques catastrophiques[6]. Cette agitation céleste communique un changement dans un royaume terrestre généralement associé à un changement politique ou spirituel. Si l’Egypte, Babylone ou Edom ont été détruits, le soleil, la lune et les étoiles sont actuellement toujours en place ! Le jugement de Dieu, généralement par le biais d’une autre nation, viendrait contre eux pour prendre le dessus sur leurs dirigeants et tout bouleverser. La destruction des royaumes terrestres est décrite en termes d’ébranlement céleste. Il n’est donc pas exagéré de conclure que Matthieu 24:29 parle contextuellement du jugement de Dieu s’abattant sur la ville et la nation juive dans son ensemble. Il décrit les chefs religieux et le peuple dépassés par les Romains et la fin complète de leurs structures politiques et religieuses. Les textes d’Amos et de Joël mentionnés ci-dessus parlent explicitement de cette restructuration politique et religieuse contre Israël. L’utilisation de ce langage prophétique de l’AT a permis de communiquer aux disciples qu’ils feraient l’expérience de ce renversement complet et de la destruction de ceux vers qui il était proclamé, en l’occurrence la ville et le temple.
[1] D’autres encore souscrivent à l’idée que si les textes précédents parlent de la chute de Jérusalem, les versets suivants constituent un intermède ou une parenthèse pour parler de la Parousie à la fin des temps.
[2] Storms P. 263
[3] France P. 920
[4] Remarquez l’utilisation du terme dans Matthieu en 3:16 ; 4:20, 22 ; 8:3 ; 13:5, 20 ; 14:22 ; 20:34 ; 21:12 ; 26:74.
[5] Voir Carson P. 495
[6] France P. 922
